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4H,5F 5 H, 5 F Distribution modulable pour troupe Pièces pour jeunes Liste des pièces
UN SEUL DECOR : une terrasse
Dans le fond la façade arrière d’une maison. Une porte est visible. Deux accès latéraux : l’un côté cour, l’autre côté jardin.
Côté jardin : un barbecue et un salon de jardin.
Côté cour : un banc et un transat Revenir à la pièce
SCENE 1: MARC, ADELE, CHLOE et VIOLETTE
MARC (répondant) – Allô ? Non, toujours rien…Pas de trace du corps, non…Comment veux-tu que je sache ce qui s’est passé ?…Non, il avait simplement fait deux week-end de voile en Méditerranée. Je ne sais pas ce qui lui a pris de vouloir traverser l’Atlantique en solitaire… Oui, je te tiens au courant. Salut ! (Il coupe.) L’Atlantique en solitaire…Si on m’avait dit un jour qu’il ferait du bateau, celui-là !
ADELE (arrivant par le fond côté jardin et tenant un sac) – C’était qui ?
MARC – Qui veux-tu que ce soit ? Un ami de Luc qui vient aux nouvelles.
ADELE (posant son sac sur la table) – Tu crois qu’on va le retrouver ?
MARC – J’espère bien que non.
ADELE – C’est ton frère tout de même.
MARC – Un frère, oui, mais un moralisateur, attaché aux grandes valeurs : amour, famille, patrie. Bref, un frère de la pire espèce.
ADELE – Il vous a quand même élevés tous les trois.
MARC – Se consacrer à ses trois frères plus jeunes, on peut dire qu’il avait le sens du sacrifice.
ADELE – Mais c’est vrai qu’il était envahissant.
MARC (regardant dans le sac) – Toujours mettre son nez dans nos affaires, comme si son statut de frère aîné lui en donnait le droit.
ADELE – Nous risquons d’être tranquilles, à présent, définitivement tranquilles.
MARC (en ressortant un journal) – Cette histoire de traversée de l’Atlantique, c’est quand même bizarre pour quelqu’un qui n’avait pas la passion de la mer.
ADELE – Tu crois que ça cache quelque chose ?
MARC – Je ne sais pas.
(Chloé et Violette rentrent à l’avant-scène, côté cour.)
CHLOE – Nous nous sommes faufilées par le jardin.
ADELE – J’avais remarqué, merci.
VIOLETTE – Nous ne faisons que passer. Toujours rien ?
CHLOE – Il avait beau être casse-pieds, ça me remue cette disparition.
MARC – Toujours rien, non. (Il s’assied et ouvre le journal.)
VIOLETTE – S’il est mort et qu’on ne retrouve pas le corps, qu’est-ce qui se passera pour l’héritage ?
CHLOE – Violette, enfin, il vient à peine de disparaître !
VIOLETTE – Ne me dis pas que tu n’y as pas pensé.
CHLOE – Si, j’avoue. (Puis à Marc.) Tu crois qu’il avait beaucoup d’argent ?
MARC – ça m’étonnerait. Il s’est occupé de nous très longtemps, ça a dû lui coûter un os.
ADELE – Croisons néanmoins les doigts.
MARC – Que deviennent mes deux frères ?
CHLOE – Ils viennent de rentrer de la pêche.
VIOLETTE – La pêche aux bonnes affaires.
MARC – Bande d’escrocs ! (Il sourit.)
ADELE – Tu peux parler. C’est toi qui les a entraînés.
MARC – Je n’ai pas dû les pousser beaucoup.
VIOLETTE – Heureusement que ça nous vaut quelques belles rentrées financières. A présent, il nous en faudrait une toute grosse, une exceptionnelle.
CHLOE – Genre héritage, c’est ça ?
ADELE – ça ferait plaisir mais apparemment le frère aîné n’était pas un oncle d’Amérique.
VIOLETTE – Alors, Chloé, nous allons faire cette petite course ?
CHLOE – Nous y allons, oui.
VIOLETTE (désignant le fond côté jardin) – Nous pouvons passer par là ? C’est plus court.
ADELE – Comme si vous n’en aviez pas l’habitude.
CHLOE – A tout à l’heure, les amoureux !
ADELE – Bye ! (Elles sortent par le fond côté jardin.) Tu espères trouver des nouvelles de Luc dans le journal ?
MARC – Qui sait ? Rubrique sportive…Voile…Non, rien.
ADELE – Alors, je mets les…voiles. (Elle sourit et sort par le fond, côté cour.)
MARC – C’est ça, va me préparer un bon petit plat.
BŒUF (arrivant à l’avant-scène côté cour, élégamment vêtu et porteur d’un attaché-case) – Veuillez m’excuser mais j’ai sonné longtemps puis je me suis décidé à faire le tour. Monsieur Leroy ?
MARC – Lui-même.
BŒUF – Monsieur Marc Leroy ?
MARC – Marc Leroy, oui.
BOEUF – Vous permettez ?
MARC – A qui ai-je l’honneur ?
BŒUF – Maître Bœuf, Denis Bœuf, notaire à Paris.
MARC – Eh bien, rentrez, maître…Bœuf. (Il sourit.)
BŒUF – Oui, je sais, cela doit vous faire un effet… bœuf. Moi qui l’endure depuis ma prime jeunesse, je trouve cela lassant.
MARC – Que puis-je faire pour vous ?
BŒUF – C’est au sujet de votre frère.
MARC – Mon frère. Lequel ?
BŒUF – C’est juste, vous en avez trois. Je suis envoyé par Luc…mais je ne peux parler qu’en présence des deux autres.
MARC (qui n’a pas bien saisi) – Les deux autres ?
BŒUF – Vos deux autres frères. Vous habitez bien des maisons voisines ?
MARC – Heu…oui, mais comment êtes-vous au courant ?
BŒUF – Je suis…peut-être dois-je dire j’étais ?…J’étais un ami de Luc, votre autre frère. Vous me suivez ?
MARC – Oui…oui…Veuillez m’excuser mais je suis un peu bouleversé par…
BŒUF – Sa disparition ?
MARC – Oui…Mais vous êtes visiblement au courant…Pourriez-vous m’expliquer de quoi il retourne ?
BŒUF – Oui mais en présence de vos frères seulement.
MARC – Décidément.
BŒUF – Veuillez les appeler. S’ils sont chez eux, ils ne tarderont pas.
MARC – Bien. Vous permettez ? Je vais envoyer ma femme.
BŒUF (solennel) – Faites.
MARC (surpris) – Alors, je fais. (Il se dirige vers le fond, côté cour.) Adèle, pourrais-tu venir une seconde ?
ADELE (en voix off) – Je suis à toi dans une petite minute.
BŒUF – Pourvu que nous n’attendions pas une heure !
MARC – Je vous demande pardon ?
BŒUF – Il semble y avoir une gradation dans vos propos : venir une seconde, être à vous dans une petite minute…
MARC (en l’observant bizarrement) – Une gradation dans nos propos…une gradation !
BŒUF – Si vous voulez, je peux vous expliquer le sens de ce mot.
MARC – Non, je crois que je sais de quoi il s’agit et au besoin, figurez-vous que je dois pouvoir remettre la main sur un dictionnaire.
ADELE (surgissant côté cour) – Me voilà !
MARC – Ouf ! nous avons failli attendre un siècle, que dis-je ? une éternité.
ADELE – Je ne te connaissais pas ces dons pour la poésie.
MARC – Je poursuivais simplement mon idée, j’y mettais une gra-da-tion.
BŒUF – Vous apprenez vite.
ADELE (à Marc) – Une gradation ? Enfin, soit ! Mais tu ne me présentes pas ?
MARC – Adèle, ma femme…Non, mon épouse, il y a une gra-da-tion.
BŒUF – Enchanté, madame, j’ai beaucoup entendu parler de vous.
ADELE – Tiens donc ! (Puis regardant Marc.) Mon mari n’a pas l’habitude de parler de moi pourtant.
BŒUF – Si j’ai entendu parler de vous, madame, c’est par Luc, votre beau-frère. Il n’a pas tari d’éloges à votre égard.
ADELE – « Tari d’éloges », comme vous savez parler aux femmes !…Monsieur ?
BŒUF – Bœuf, maître Bœuf !
ADELE (amusée) – Maître… heu…Comment avez-vous dit ?
MARC – Il a dit Bœuf. Tu te sers d’un mètre ruban, eh bien lui, c’est Bœuf, maître Bœuf !
BŒUF – Un mètre ruban ?…Soit, je ne suis pas venu pour polémiquer.
MARC – Polémiquer ? Quand je disais qu’il me faudrait remettre la main sur un dictionnaire.
BŒUF (à Adèle) – Maître Bœuf, notaire, je suis ici pour vous parler ainsi qu’à votre mari et ses frères de Luc, feu votre beau-frère.
ADELE (surprise) – Feu mon beau-frère ?
MARC – Veuillez l’excuser, maître Bœuf, nous sommes à la campagne. (Puis à Adèle.) Monsieur le notaire veut sans doute dire que Luc, mon frère, est mort.
ADELE – On a retrouvé le corps ?
BŒUF – Je ne parlerai qu’en présence…
ADELE – De votre avocat ?
BŒUF (agacé) – Madame, veuillez aller chercher vos beaux-frères, s’il vous plaît.
ADELE – Vous voulez dire ceux qui sont encore en vie ?
BŒUF (perdant patience) – Madame, s’il vous plaît…
MARC – Mais il lui plaît, Maître, il lui plaît. (Puis à Adèle.) Va chercher Yves et Michel, s’il te plaît.
ADELE – Mais il me plaît, il me plaît. (Elle sort à l’avant-scène, côté cour.)
BŒUF – Ce n’est pas trop tôt.
MARC – Il faut l’excuser, ce n’est qu’une femme.
BŒUF – Ne seriez-vous pas misogyne ?
MARC – Miso… ?
BŒUF – Misogyne. Ignorez-vous le sens de ce mot ?
MARC – Pas du tout, Maître, pas du tout. Je n’ignore pas, je sais.
BŒUF – Eh bien, sachez alors, sachez.
MARC – Je sache, Maître, je sache.
BŒUF (en aparté) – Mon Dieu ! Où suis-je tombé ?
MARC – Puis-je vous offrir un petit remontant, Maître ?
BŒUF – Non, merci.
MARC – Vous direz merci après l’avoir pris.
BŒUF – Je salue votre intention, monsieur. Elle s’avère très louable mais le devoir qui m’incombe requière la sobriété.
MARC – Heu…Vous ne pourriez pas me redire tout ça en français ?
BŒUF – Je n’ai pourtant pas eu l’impression de m’adresser à vous dans une langue étrangère. Bien. Comment dire ? J’accepterai volontiers un verre quand je vous aurai exposé le motif de ma visite.
MARC – Voilà qui est mieux. Mais rassurez-vous, j’avais bien compris.
BŒUF – Je n’en ai jamais douté.
MARC (avec emphase) – Mais je m’aperçois que je manque à tous mes devoirs. J’avais omis de vous inviter à vous asseoir. Faites donc.
BŒUF – Je vous remercie. (Il s’assoit.)
MARC – Alors comme ça, on est notaire.
BŒUF – Telle est ma profession, en effet.
MARC – Telle est votre profession. (Puis en aparté.) ça continue !
BŒUF – Vous vivez à la campagne, le cadre est agréable.
MARC – Le cadre est agréable ?… Le cadre est agréable ?… (Il s’est déplacé jusqu’à son chevalet et montre sa toile, affreuse. Le notaire a une mimique éloquente.) Vous voulez sans doute parler de celui-ci ? Je viens de le terminer. Je peins depuis une dizaine d’années en amateur. Et de mieux en mieux si j’en crois les avis qu’on me donne.
BŒUF – Je ne mets pas en doute votre talent mais je voulais dire qu’à la campagne, le cadre, donc le décor, le paysage est agréable.
MARC – Ah oui ! veuillez m’excuser, le cadre est agréable à la campagne.
BŒUF – Et beaucoup plus sain, loin de la pollution que connaissent les villes. Pas de problème de smog, je suppose ?
MARC – Pas de…phoques, non. Pas d’otaries non plus d’ailleurs.
BŒUF (après un temps) – Je parlais du smog, le brouillard de pollution, si vous voulez.
MARC – Je veux, je veux enfin je préfère.
BŒUF (ironique) – Parlons français, en effet, cela évitera les malentendus.
(Adèle revient par l’avant-scène, côté cour. Michel et Yves la suivent.)
ADELE – Voilà les deux beaux-frères.
YVES – Enfin, beaux, ce n’est qu’une façon de parler.
MARC – Heu…Yves, ce n’est pas le moment.
YVES – Voilà donc maître Bœuf, celui qui nous prépare un coup vache. (Il rit.)
MICHEL – Veuillez l’excuser, Maître. Il n’arrive jamais à garder son sérieux.
BŒUF – Même dans les circonstances graves, apparemment.
MICHEL – Enchanté de faire votre connaissance. (Il lui serre la main.)
ADELE – Si vous avez besoin de moi, je suis à la cuisine. (Elle sort par le fond, côté cour.)
YVES – J’ai de l’esprit, pardonnez-moi.
BŒUF – De l’esprit ? Un petit esprit ! Quant au pardon, nous aviserons.
YVES – Nous aviserons ?
BŒUF – Nous verrons, si vous préférez.
YVES – J’avais compris. Sans rancune, Maître, enchanté. (Il lui tend la main mais Bœuf se détourne .)
BŒUF – Sans rancune, comme vous dites et sans acrimonie.
MICHEL – Sans acrimonie ?
MARC – Maître Bœuf nous donne un cours de vocabulaire et de gradation.
BŒUF – Un cours ne se donne pas, il se dispense. Mais tel n’est pas l’objet de ma visite, venons-en aux choses sérieuses.
YVES – Nous vous ouïssons, Maître, nous vous ouïssons. (Il rit.)
BŒUF – C’est cela, ouïssez-moi, car cela vaut la peine d’être écouté et bien entendu.
YVES – Pour qu’il n’y ait pas de malentendu, c’est ça ? (Il rit.)
MICHEL – Yves, si tu pouvais faire un effort.
(Le notaire ouvre son attaché-case et en sort des documents dont une lettre qu’il ouvre.)
BŒUF – « Ceci est mon testament ou presque ». Je cite, j’avais omis de vous préciser qu’il s’agissait d’une lettre de Luc, votre frère.
MARC – Nous avions compris, Maître.
YVES – Oui, nous n’avions pas omis de comprendre.
MICHEL – Du sérieux, Yves, du sérieux.
BŒUF (lisant) – Mes biens chers frères…
YVES – Voilà l’évangile selon saint Luc.
MARC – Yves, ça suffit !
MICHEL – Que va penser de nous maître Bœuf ?
BŒUF – Je me suis déjà forgé une opinion.
MARC – Forgé une opinion ? ça recommence.
YVES – Et moi, c’est en forgeant que je deviens forgeron ! (Il rit.)
MARC – Toi, tu ferais mieux de te taire.
YVES – Un saint, je voulais dire que Luc était un saint.
BŒUF (irrité) – Si vous le permettez, je désirerais poursuivre.
MARC (avec emphase) – Faites !
BŒUF (lisant) – Mes biens chers frères, j’imagine déjà Yves faire une remarque humoristique désobligeante, puisque je commence à la manière des évangiles…
MICHEL (à Yves) – Il ne t’a pas raté. (Puis à Bœuf.) Pardon.
YVES – Reprenez, Maître.
BŒUF (poursuivant sa lecture) – Il y a six mois environ, j’ai vu ma vie bouleversée par deux événements, l’un négatif, l’autre positif…
YVES – Commencez par la bonne nouvelle, Maître.
BŒUF – Je ne choisis pas : je lis ou plutôt j’essaie de lire et vous, à présent, vous m’écoutez sans plus m’interrompre.
MARC – Reprenez, Maître.
(Chloé et Violette font leur rentrée côté cour à l’avant-scène.)