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SCENE 0 :A EVITER SI VOUS JOUEZ EN COSTUMES D'EPOQUE
(Deux des comédiens au choix, ici: un homme, une femme)
(Le directeur entre côté cour, la comédienne, côté jardin. On l'entend d'abord crier "Nous avons été saisis, nous avons été saisis"!)
COMEDIENNE (entrant, essoufflée) - Monsieur le Directeur, Monsieur le directeur, nous avons été saisis, nous avons été saisis !
DIRECTEUR (ne comprenant pas) - Saisis ?…
COMEDIENNE - Oui, saisis, saisis, mais vous ne comprenez pas ?
DIRECTEUR - Heu…en effet…Je n'ai pas saisi… Que cherchez-vous à me dire ?
COMEDIENNE (énervée, en le secouant) - Nous avons été saisis, Monsieur le Directeur, saisis !
DIRECTEUR - Je ne saisis toujours pas. Expliquez-vous et calmez-vous.
COMEDIENNE - Comment voulez-vous que je sois calme ? Un huissier, Monsieur le Directeur, un huissier nous a saisis !
DIRECTEUR - Un huissier nous a saisis ? Mon Dieu, je n'avais pas saisi !
COMEDIENNE - Vous, non ! L'autre en revanche !
DIRECTEUR - Et qu'a-t-il saisi ?
COMEDIENNE (le secouant encore) - Tout, Monsieur le Directeur, tout !
DIRECTRICE - Tout ? Nos meubles ?
COMEDIENNE (en sanglotant) - Nos meubles, oui. Il n'y a plus rien dans nos loges, ils ont même pris les miroirs.
DIRECTEUR - Les miroirs ? Mais pour le maquillage ?
COMEDIENNE (toujours en le secouant) - Plus de produits ! Ils ont tout pris !
DIRECTEUR - Tout ? Vous allez devoir jouer sans maquillage ?
COMEDIENNE - Ce n'est pas bien grave pour le public: nous avons l'habitude de lui jeter de la poudre aux yeux.
DIRECTEUR (la repoussant) - Mais il faut lui demander de nous laisser au moins les produits de maquillage à cet olibrius !
COMEDIENNE - Huissier, Monsieur le Directeur, pas olibrius ! Mais c'est impossible, il a déjà pris la poudre d'escampette.
DIRECTEUR (découragé) - La poudre d'escampette avec toutes nos poudres et nos produits…Mais nous jouons dans cinq minutes !
COMEDIENNE - Sans le décor, il n'a laissé que le banc et sans les costumes d'époque.
DIRECTEUR (interloqué) - Sans les costumes d'époque ? Il les a pris aussi ? Ce n'est pas vrai, ce n'est pas vrai ?
COMEDIENNE (sanglotant) - Hélas ! Monsieur le Directeur, hélas !
DIRECTEUR (reprenant espoir) - Dites, c'est une blague, vos camarades sont dans le coup ou nous sommes le premier avril, c'est ça ?
COMEDIENNE (le secouant à nouveau) - Vous croyez que je vous ferais une blague à cinq minutes du début du spectacle ?
DIRECTEUR - Mais voyons, on ne saisit pas un samedi soir !…Mon Dieu ! Un samedi soir, où trouver des costumes de rechange ?
COMEDIENNE (au bord de la crise de nerfs) - Nulle part, nulle part ! Ah ! Ah ! Je craque, Monsieur le Directeur ! Je vous l'avais dit que nous finirions par avoir des ennuis. Nous ne sommes en règle avec personne.
DIRECTEUR - Mais dans le domaine culturel, tout le monde tire le diable par la queue, voyons !
COMEDIENNE (toujours en le secouant) - Et il venait de chez vous, Monsieur le Directeur, il venait de chez vous !
DIRECTEUR - De chez moi ? De chez moi ? Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?
COMEDIENNE - Ils ont saisi tout ce qu'ils pouvaient chez vous, Monsieur le directeur, tout !
DIRECTEUR (suffoquant) - Qu'est-ce…qu'est-ce que vous dites ?
COMEDIENNE - C'est à cause de vos dettes, vous entendez, de vos dettes ! Ce qu'ils ont saisi chez vous était insuffisant, alors ils ont saisi chez nous, vous entendez: chez nous ! C'est pas juste, c'est pas juste !
DIRECTEUR - Calmez-vous, mon petit, calmez-vous et reprenez votre sang-froid: comme on dit dans ces cas-là: the show must go on.
COMEDIENNE - Qu'est-ce que vous dites ? Qu'est-ce que vous dites ?
DIRECTEUR - The show must go on, le spectacle doit continuer. En scène ! Les artistes se doivent à leur public.
COMEDIENNE (soudain calmée) - Comme vous parlez bien, Monsieur le Directeur !
DIRECTEUR - Vous n'avez jamais joué en étant malade avec 38 de fièvre ?
COMEDIENNE - Si, bien sûr.
DIRECTEUR - Eh bien, ce soir, tout le monde a la fièvre et tout le monde l'oublie le temps du spectacle. Que chacun s'habille comme il le pourra. Nous commençons à l'heure, dites-le à tout le monde: nous commençons à l'heure. (Elle sort en courant, il regarde sa montre.) Et commencer à l'heure, c'est commencer maintenant, huissier ou pas ! Ce ne sont pas les représentants de la loi qui vont la faire, nom d'un chien ! The show must go on, the show must go on, le reste attendra. (Il sort.)
SCENE 1: MILADY DE SUMMER et RICHELIEU puis ARTABAN et ELEONORE
(Milady rentre, la démarche hautaine et en éternuant, côté cour alors que Richelieu est déjà en scène. Habillé en moine, il est assis sur un banc côté jardin. Elle fait la révérence.)
MILADY - Vous m'avez fait demander, Votre Eminence ?
RICHELIEU - Oui, Milady de Summer, j'ai besoin de vos services et j'ai préféré venir incognito ici. On m'espionne jusque dans mes murs.
MILADY - Qu'attendez-vous de moi ?
RICHELIEU - Je veux que vous retrouviez un cheval blanc ferré offert par Buckingham à la reine.
MILADY (étonnée, elle s'assied et éternue.) - Un cheval blanc ferré ?
RICHELIEU - Pourquoi croyez-vous qu'il ait offert un cheval ferré à Anne d'Autriche ?
MILADY - Parce qu'il l'aime, pardi !
RICHELIEU - Il l'aime! Tout est là, Milady. Donc la particularité de ce cheval blanc est de porter des fers où ont été gravés deux coeurs entrelacés.
MILADY - Sur chaque fer ?
RICHELIEU - Sur chaque fer.
MILADY - C'était très habile: chacun connaissait la passion d'Anne d'Autriche pour les chevaux, son cadeau n'était donc pas suspect mais Buckingham ne pouvait pas imaginer que vous alliez percer son secret, Votre Eminence.
RICHELIEU - Hélas! la reine a dû apprendre que j'étais au courant puisque, au moment de conseiller au roi, son époux, d'aller jeter un coup d'oeil dans les écuries…
MILADY - Où vous lui auriez fait examiner de plus près les sabots...
RICHELIEU - J'ai appris que la reine avait fait don du fameux cheval blanc aux mousquetaires du roi. Je me suis renseigné: ils possèdent déjà une bonne cinquantaine de chevaux blancs dans leurs écuries.4
MILADY - Le retrouver ne sera pas une mince affaire.
RICHELIEU - D'autant qu'il s'agit d'opérer discrètement.
MILADY (Elle se relève et réfléchit. Elle éternue.) - La seule manière d'agir, c'est de faire contrôler à vos hommes les chevaux de mousquetaires isolés, pour éviter les duels.
RICHELIEU (s'énervant et se levant également) - Allez donc leur expliquer, à mes crétins de gardes, qu'il s'agit surtout d'agir discrètement. Dès qu'ils croisent un mousquetaire, ils ont envie de dégainer leur épée.
MILADY - Ce doit être réciproque: depuis que vous avez fait interdire les duels, ils rêvent tous de se battre.
RICHELIEU - L'interdit les attire.
MILADY - Ce sont de grands enfants.
RICHELIEU - Mais ma politique n'est pas un jeu d'enfant.
MILADY - Et si on boutait le feu aux écuries ?
RICHELIEU - Pour quoi faire ?
MILADY - Pour faire sortir tous les chevaux, pardi ! Dans la pagaille générale, les mousquetaires de garde leur ouvriront les portes et, affolés, ils s'échapperont.
RICHELIEU - Dans le parc, Milady, dans le parc ! ils n'iront pas bien loin. Et le mur qui le ceinture est bien trop haut. Aucun cheval ne serait capable de le franchir et le seul accès est gardé en permanence par une dizaine de mousquetaires.
MILADY - Une dizaine ? Ils ne font jamais les choses à moitié, ces olibrius !
RICHELIEU - Il s'agit d'un régiment d'élite, ne l'oubliez pas.
MILADY - Je ne l'oublie pas: ne jamais faire les choses à moitié et être prêts à se couper en quatre pour le roi, ils aiment les mathématiques, ces mousquetaires.
RICHELIEU - Si seulement en se coupant en quatre, ils divisaient leur effectif. Mais non, à la moindre perte, c'est "un de perdu, dix de retrouvés". Tous les gentilshommes sachant manier l'épée brûlent d'envie d'en faire partie.
(Araban rentre côté jardin. Richelieu et Milady se rassoient précipitamment la tête basse pour passer inaperçus.)
ARTABAN - J'ai une de ces soifs !
(Il sort rapidement côté cour. Richelieu et Milady redressent la tête. Elle éternue.)
MILADY - Que faire alors ? On ne sait pas ce que ce cheval ferré est devenu, à quel mousquetaire il a été confié ? A la place de Monsieur de Tréville, leur chef, je l'aurais pourtant placé sous la protection d'Athis, de Porthis ou d'Aramos.
RICHELIEU (irrité, il se relève.) - Ne me parlez plus de ces trois-là, ils me donnent des boutons, sans compter qu'ils ont à présent un compère qui fait des ravages parmi mes gardes: ce Pardaillan de malheur !
MILADY - Artaban, pas Pardaillan, Votre Eminence !
RICHELIEU - Artaban, soit ! Je ne retiendrai son nom qu'en le voyant écrit sur une pierre tombale. Pour lui, je suis prêt à faire une messe somptueuse gratuite.
MILADY (étonnée, elle se relève également et éternue à nouveau.) - Gratuite ? Connaissant votre amour de l'argent, je mesure la haine que vous lui portez.
RICHELIEU (sèchement) - Et moi, je mesure dans cette réplique toute votre audace, Milady de Summer. Ne dépassez pas les bornes si vous voulez galoper longtemps au soleil.
MILADY - Je présente mes excuses à Votre Eminence, l'ombre d'un cachot serait en effet préjudiciable à mon teint.
RICHELIEU (même jeu) - Et à votre santé, vous qui éternuez toujours ! mes geôles sont ombragées mais aussi fort humides et froides.5
MILADY - Elles me font en effet froid dans le dos, Votre Eminence. (Elle éternue.) J'éternue rien qu'à y penser. Rassurez-vous, je m'abstiendrai à l'avenir de ce genre de remarques.
RICHELIEU - Et vous ferez bien, Milady de Summer.
(Eléonore rentre côté cour et a entendu. Richelieu et Milady se sont rassis très rapidement, la tête basse.)
ELEONORE - Milady ? (Elle fait la révérence.) Vous ici ?
MILADY (relevant la tête) - Non, je ne suis pas là, tu ne m'as pas vue, tu entends: tu ne m'as pas vue, je ne suis pas là.
ELEONORE - Mais si vous êtes là !
MILADY - Non, je ne suis pas là, tu entends: je ne suis pas là !
ELEONORE (étonnée et en aparté, avant de sortir côté jardin) - Mais si, elle est là.
RICHELIEU (redressant la tête) - Revenons à nos moutons.
MILADY - Donc à notre cheval blanc ferré. Vous ne croyez pas que Porthis, Athis ou Aramos assurent sa protection ?
RICHELIEU (se relevant) - Monsieur de Tréville est-il lui-même au courant ? J’en doute et s’il l’est, il sait trop bien que nous penserions immédiatement à eux. Non, il est bien trop rusé pour ça. Et puis n'oubliez pas leur devise: "Un pour tous, tous pour un".
(Artaban rentre subitement côté cour. Milady se rassoit précipitamment et se tasse littéralement. Richelieu a plongé sous le banc. Il tremble comme une feuille.)
ARTABAN - Un pour tous ! Tous pour un ! Quelle superbe devise ! Il n'y en a pas de plus belle au monde. Allons rejoindre Athis, Porthis et Aramos à l'auberge, j'ai une de ces faims ! (Il sort côté jardin.)
(Milady redresse la tête en poussant un ouf de soulagement. Richelieu se redresse péniblement et se rassied en s'épongeant le front.)
RICHELIEU - Pour un endroit tranquille, c'est un endroit tranquille, il n'y a pas à dire.
MILADY - "Un pour tous, tous pour un", en effet. Que voulez-vous dire par là ?
RICHELIEU - Les chevaux sont à la disposition des mousquetaires, ils n'ont pas été attribués. Ils n'ont pas de cheval personnel. En cas d'intervention rapide, ils ne perdent jamais de temps. Ils enfourchent le premier cheval venu.
MILADY - Certains ont peut-être une préférence, surtout qu'il s'agit d'un cheval blanc.
RICHELIEU - Un mousquetaire est fier de porter sa casaque, peu importe le cheval qu'il enfourche.
MILADY (se relevant en éternuant) - Ils sont compliqués, vos mousquetaires !
RICHELIEU - Vous parlez trop. J'attends que vous passiez à l'action à présent.
MILADY - Mais comment voulez-vous que je fasse pour retrouver ce fameux cheval blanc ferré ?
RICHELIEU (d'un ton autoritaire) - C'est votre problème, Milady.
(Eléonore rentre côté jardin. Milady et Richelieu se sont rassis très vite, la tête basse.)
ELEONORE (qui a entendu, vient près du banc.) - Milady ? C'est donc bien elle.
MILADY (redressant la tête, fâchée) - Non, je ne suis pas là, tu entends: je ne suis pas là.
ELEONORE (étonnée, en aparté, avant de sortir côté cour.) - Mais si elle est là.
MILADY - Pour une entrevue secrète, c'est réussi…(puis protestant) - Mon problème, mon problème mais il est pratiquement insoluble mon problème…à moins que…
RICHELIEU (redressant la tête) - A moins que ?6
MILADY - Un maréchal-ferrant s'occupe sans doute de leurs chevaux, il suffira de le retrouver. En échange d'une bourse bien garnie, il pourra sûrement nous aider.
RICHELIEU - Le maréchal-ferrant est également et avant tout un mousquetaire. Même si vous le retrouvez, il sera comme tous les autres.
MILADY - Incorruptible, c'est ça ?
RICHELIEU - Tout à fait.
MILADY - Je commence à connaître la chanson: un mousquetaire ne s'intéresse pas à l'argent, sa seule fortune c'est sa casaque.
RICHELIEU - Vous oubliez son honneur, Milady de Summer.
MILADY (se relevant) - Comment pourrais-je l'oublier, Votre Eminence ? Ces gens-là sont des hommes d'honneur. Quelle race, bon sang, quelle race ! On aurait dû en faire des hommes d'Eglise.
RICHELIEU - Votre mémoire est vraiment défaillante: ils aiment le vin et les femmes.
MILADY - Comme certains de vos curés.
RICHELIEU (s'emportant, il se relève) - Cela suffit, Milady, vous jouez avec le feu, vous allez finir par vous brûler et pas aux rayons du soleil !
MILADY - Je suis confuse, Votre…
RICHELIEU - Cela suffit, vous dis-je ! Occupez-vous de ces fers et de leurs coeurs entrelacés en vous abstenant de faire d'autres commentaires.
MILADY - Bien, Votre Eminence, je me retire. (Elle éternue.)
RICHELIEU - C'est ça, retirez-vous et ramenez-moi ce fameux cheval ferré.
MILADY - Et en cas d'échec ?
RICHELIEU - C'est un mot dont je me refuse à connaître le sens, Milady.
MILADY - Vous y jouez, pourtant.
RICHELIEU (très irrité) - Pour y gagner, Milady, pour y gagner !
MILADY - Mais il vous arrive de triompher en perdant vos cavaliers et donc leurs chevaux.
RICHELIEU - Ceux-là ne sont pas ferrés. Vous parlez trop, Milady.
MILADY - Vous avez raison, Votre Eminence.
RICHELIEU – Le cardinal de Richelieu a toujours raison.
MILADY - Bien entendu, Votre Eminence, bien entendu. Je me retire donc. Au plaisir de vous être bientôt agréable, Votre Eminence. (Elle fait la révérence et sort en marchant fièrement et en éternuant, côté cour.)
RICHELIEU - Au plaisir, en effet, mais le plus tôt sera le mieux. (Il continue en aparté.) Revenez avec ces fers, sinon je vous mets …aux fers, Milady de Summer.
(Il sort en riant, côté jardin.)