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4H,5F 5 H, 5 F Distribution modulable pour troupe Pièces pour jeunes Liste des pièces
SCENE 1 : LUCIE, PIERRE et LOUIS Revenir à la pièce
LUCIE, rentrant. – Ce rôle de bonniche ne me plaît pas.
PIERRE. – Tu n’es pas une bonne mais une sorte de gouvernante.
LUCIE. – Une sorte ? On dirait une espèce animale en voie de disparition.
PIERRE. – Il s’agit d’encadrer au mieux son fils durant quelques mois puisque monsieur Laverdure est aux Etats-Unis.
LUCIE. – Mais il est assez grand pour tout faire lui-même. Les gouvernantes, c’était bon au dix-neuvième siècle. Nous sommes au troisième millénaire.
PIERRE. – Eh bien, au troisième millénaire, dans la bonne société, on a toujours recours à…à du personnel de maison, voilà.
LUCIE. – Me voilà ravalée au rang d’une soubrette.
PIERRE. – Mais non. Et puis, ton horaire est souple et en habitant si près, tu peux couper ta journée, rentrer si le cœur t’en dit.
LUCIE. – Mais pas aux heures de repas : je serai la cuisinière…manuelle, pas électrique !
PIERRE. – Comme tu ne travaillais pas, tu as à présent une occupation…financièrement très intéressante.
LUCIE. – En avions-nous besoin ?
PIERRE. – C’est plus qu’un complément et puis nous devons être ici pour l’encadrer.
LUCIE. – Encadrer Laverdure junior... Et pourquoi une si grande maison pour lui tout seul ?
PIERRE. – Parce que des…des gens vont bientôt arriver et s’installer ici un certain temps.
LUCIE. – Qui ?
PIERRE. – Nous en parlerons tout à l’heure à la maison.
LUCIE. – Pourquoi pas maintenant ?
PIERRE. – L’affaire est délicate et… (Il voit Louis rentrer.)
LOUIS. – Bonjour Pierre. Rebonjour Lucie.
PIERRE. – Bonjour Louis. Vous voilà plus riche d’une gouvernante.
LUCIE. – Je me demande ce que je vais gouverner.
PIERRE. – Si tu allais nous chercher des rafraîchissements, Lucie.
LUCIE, révérences à l’appui. – Bien, Monsieur. Que ces messieurs désirent-ils boire ?
PIERRE. – Pour rappel, nous sommes au troisième millénaire, Lucie.
LOUIS. – Un peu d’eau suffira.
PIERRE. – Adjugé.
LUCIE. – Bien Messieurs, ces Messieurs seront satisfaits. (Elle sort.)
SCENE 2: PIERRE et LOUIS, puis CELIO
LOUIS. – Elle a un côté rétro, vous ne trouvez pas ?
PIERRE. – Disons qu’elle a du mal à bien cerner son rôle.
LOUIS. – Et moi, j’ai un peu de mal à bien cerner le vôtre.
PIERRE. – Etant l’homme de confiance de votre père, il a donc souhaité que je m’occupe de vous.
LOUIS. – Quelle idée de partir aux Etats-Unis !
PIERRE. – Ses affaires l’ont appelé là-bas. Il est ambitieux et il l’est pour vous également.
LOUIS. – On va donc reparler de politique. Ce qui ne me dérange pas: j’en rêve aussi.
PIERRE. – Vous êtes déjà conseiller municipal mais son souhait est de vous voir maire de cette petite ville.
LOUIS. – Alors que lui en a été incapable.
PIERRE. – Les élections ont lieu l’an prochain. Mais il y a d’abord un problème lié à votre image à régler.
LOUIS. – Mon image ?
PIERRE. – Elle pose problème parce que nous sommes à la campagne. Ici les valeurs traditionnelles ont encore toute leur importance : un candidat doit être hétérosexuel.
LOUIS. – Mais tout évolue.
PIERRE. – Pas ici ou en tout cas très lentement. Vous devez vous marier…avec une femme et si vous voulez encore bénéficier d’un certain train de vie…
LOUIS. – Je dois me plier à ses volontés, je sais. Je ne sais même que cela.
PIERRE. – …et continuer à occuper un poste enviable dans sa société, vous n’avez pas le choix : vous devez également devenir père.
LOUIS. – Devenir en même temps père et maire, ça fait beaucoup pour un seul homme, non ?
PIERRE, agacé. – Vous êtes immature, Louis. La vie est une chose sérieuse.
LOUIS. – Devenir père pour perpétuer la dynastie, pour que le rejeton prenne plus tard la succession.
PIERRE. – Utilisez les mots que vous voulez, l’enjeu est clair si vous ne voulez pas finir sur la paille.
LOUIS. – Le vieux salaud.
PIERRE. – Je vous en prie : pas de vulgarité.
LOUIS. – J’oubliais les bonnes manières chères à papa…pardon « Père » parce que j’ai rarement eu le droit de l’appeler « Papa ».
PIERRE. – Je n’ai pas à juger l’éducation que vous avez reçue.
LOUIS. – Très bonne éducation. Heureusement que maman était là pour l’affection.
PIERRE. – Je l’ai peu connue. Je venais d’être engagé par votre père quand elle est décédée.
LOUIS. – Un père qui me préfère hétérosexuel…au point de me couper les vivres si je fais de la résistance…et j’en fais : je n’aime pas les femmes.
PIERRE. – Vous apprendrez si pas à les aimer, du moins à en aimer au moins une.
LOUIS. – Pour faire semblant, pour la couverture…parce que sous la couverture, ça ne m’intéresse pas.
PIERRE. – Avez-vous essayé au moins ?
LOUIS. – Essayé ? On dirait que vous me proposez d’aller goûter une cuisine exotique.
PIERRE. – Ne serait-ce pas vous qui la préférez alors que vous n’avez pas goûté à la cuisine traditionnelle ?
LOUIS. – Soyons clair : j’ai toujours aimé les hommes et plus particulièrement un depuis un bon bout de temps. (La porte s’ouvre. Un homme rentre.) Quand on parle du loup…
CELIO. – On voit sa queue. (Apercevant Pierre.) …Pardon, Loulou…heu…Louis… je tombe comme un cheveu dans la soupe.
LOUIS. – Et nous parlions justement de cuisine. Voilà mon plat exotique. Rectification : un plat italien.
CELIO, saluant Pierre. – Monsieur Leroy.
PIERRE, saluant Célio. – Monsieur Lipi…mais nous nous connaissons déjà un peu : appelez-moi Pierre.
CELIO. – Et moi Célio.
LOUIS. – Célio, peux-tu patienter quelques minutes à côté, s’il te plaît ? Monsieur Leroy et moi devons parler.
CELIO. – Pas de souci. (Saluant Pierre.) Au revoir.
PIERRE. – Au revoir. (Il sort.) Revenons à nos moutons donc à votre bergerie. Cette grande maison possède plusieurs chambres d’amis qui vont accueillir des femmes.
LOUIS, surpris. – Des femmes ?
PIERRE. – L’une d’elles deviendra votre épouse, Louis. S’il le faut, j’ai carte blanche, je peux vous en présenter beaucoup.
LOUIS. – Je n’ai pas besoin d’un harem.
PIERRE. – Mais vous avez peu de temps devant vous pour imposer votre image d’époux, de père respectable pour ensuite gagner la confiance de vos électeurs.
LOUIS. – J’aime la politique mais pas les femmes, désolé.
PIERRE. – Vous aimez le confort, le luxe, les endroits chics. Pourriez-vous renoncer à tout cela ?
LOUIS. – …
PIERRE. – Votre silence est éloquent.
LOUIS. – C’est vrai que je pourrais difficilement m’en passer.
PIERRE. – Et de Célio ?
LOUIS. – Impossible.
PIERRE. – L’aimez-vous au grand jour ?
LOUIS. – Avec père, il fallait que nous nous cachions…
SCENE 3: LUCIE, PIERRE et LOUIS, puis CELIO
LUCIE, rentrant en portant un plateau avec deux verres. – Voilà les rafraîchissements.
PIERRE. – Où étais-tu passée ?
LUCIE. – A la fontaine. Aller et retour, un kilomètre de marche avec une grande cruche. Au dix-neuvième siècle, le personnel de maison se déplaçait à pieds. (Elle lui tend le plateau, il prend un verre.)
PIERRE, prenant le verre. – Merci. Tu n’en ferais pas un peu trop ?
LOUIS. – Laissez, Pierre, j’adore. (A Lucie. Elle lui tend le plateau, il prend l’autre verre.) Merci. Comme vous avez dû avoir l’air…cruche !
PIERRE, à Louis. – Vous n’allez pas vous y mettre vous aussi ?
LOUIS. – Détendez-vous, Pierre.
PIERRE. – Non, sérieusement Lucie, où étais-tu passée ?
LUCIE. – A la fontaine, je t’ai dit. Non, je te raconte une fable. (Elle pose le plateau sur la table de la salle à manger.)
PIERRE. – Arrête, s’il te plaît.
LUCIE. – J’ai fait la connaissance de Célio Lipi. Mais il est ici comme chez lui apparemment.
LOUIS, embarrassé. – Il…il habite juste à côté. C’est mon meilleur ami et nous faisons de la politique ensemble.
PIERRE. – Des amis très proches, n’est-ce pas Louis, tout proches ?
LOUIS, même jeu. – Comme vous dites…tout proches.
LUCIE. – Mais pas forcément bien élevé. Il n’a pas sonné, il est passé par derrière.
PIERRE. – C’est une habitude chez lui.
LOUIS. – Une habitude ?
PIERRE. – Mais oui : de passer par derrière…enfin, tant que cela ne vous dérange pas.
LOUIS. – Non…cela ne…me dérange pas.
LUCIE. – Eh bien, moi, cela me dérange, il n’a qu’à sonner et passer devant.
PIERRE. – Louis, dites-lui de passer par devant…du moins si c’est techniquement possible.
LOUIS, toujours embarrassé. – Je…je lui dirai. Il passera par devant.
PIERRE. – Si tu nous laissais à présent, Lucie, nous devons parler affaires.
LUCIE. – Bien, Messieurs, j’ai compris. La gouvernante se retire. (Elle sort.)
LOUIS. – Vous ne trouvez pas que vous poussez le bouchon un peu loin ?
PIERRE. – Je vous teste. Et il est visible que vous avez du mal à assumer votre homosexualité.
LOUIS. – Célio et moi assumons parfaitement mais nous sommes discrets.
PIERRE. – Vous pourriez continuer à l’être, une fois votre couverture installée.
LOUIS. – Et qu’implique exactement votre couverture ?
PIERRE. – Mon cher Louis, vont venir s’installer ici pour quelque temps trois femmes qui ont accepté disons de se délocaliser…
LOUIS. – Se délocaliser ?
PIERRE. – N’ayant pas d’attaches dans la région, elles n’iront pas raconter vos préférences sexuelles : il est de toute façon prévu dans leur contrat qu’elles se taisent.
LOUIS. – Elles signent un contrat ?
PIERRE. – Je travaille avec une agence. Il est logique de faire signer un contrat.
LOUIS. – Une agence matrimoniale ?
PIERRE. – En quelque sorte. Et en France, une femme peut facilement faire cinq cents ou mille kilomètres. Voilà ce que j’appelle se délocaliser.
LOUIS. – Je croyais qu’il n’y avait que les entreprises qu’on délocalisait.
PIERRE. – Vous pourrez également rencontrer des femmes étrangères mais parlant très bien le français, rassurez-vous.
LOUIS. – Vous avez recruté dans les pays de l’Est ?
PIERRE. – Vous verrez mais sachez cependant qu’on n’attire pas les mouches avec du vinaigre : elles savent que vous êtes financièrement très à l’aise.
LOUIS. – Ma richesse ne tient plus qu’à un fil, semble-t-il. Regardez déjà cette maison, grande bien sûr mais surtout on ne peut plus banale.
PIERRE. – Et juste à la sortie de la ville. En l’achetant, votre père recherchait lui aussi la discrétion. Vous auriez pu éviter que votre ami vienne s’installer dans une maison voisine.
LOUIS. – Elle était à louer. Je n’étais pas très chaud mais le mal est fait.
PIERRE. – Mais pour la discrétion, c’est bel et bien raté et cela met en péril la réussite…
LOUIS. – …de votre opération commando : sauver le futur maire Louis de l’homosexualité.
PIERRE. – Vous portez déjà le prénom d’un roi de France. Pourquoi pas celui d’un maire ?
LOUIS. – En attendant, Louis ne vit plus dans un palais. Les femmes de son harem vont être déçues.
PIERRE. – Nous allons voir cela tout de suite.
LOUIS, surpris. – Tout de suite ?
PIERRE. – Elles m’attendent près d’ici. Je vous les ramène dans cinq minutes.
LOUIS, même jeu. – Comment ça dans cinq minutes ?
PIERRE. – Nous n’avons plus la vie devant nous. Et comme il faudra sûrement un peu de temps pour que la mayonnaise prenne. (Il sort.)
LOUIS. – La mayonnaise ? Oh, purée ! Que vais-je faire de ma cuisine exotique ?